Rencontrer Claude Pinoteau, c’est rencontrer une légende du cinéma français, tant il a participé à son succès, en étant d’abord premier assistant de réalisateurs aussi fabuleux que Cocteau, Orson Welles, René Clair, Giono, Lelouch, Melville, Ophüls et bien d’autres, avant de devenir lui-même réalisateur à succès… Citons, parmi les plus marquants « La gifle », « La boum », « Le silencieux », « La septième cible », « Les palmes de Monsieur Schulz »….
Le rencontrer c’est aussi rencontrer un homme affable, intarissable sur sa passion qu’est le cinéma, sur Cocteau qu’il admirait, sur Lino Ventura qui était son ami, sur Sophie Marceau et Isabelle Adjani qui ont éclaté au cinéma grâce à lui.
Homme courtois et simple, qui remercie chaque jour la vie de ce qu’elle lui a apporté et qui l’a d’ailleurs écrit dans ce sympathique livre de mémoires « Merci la vie ! » (Ed Cherche Midi).
Il a donc été très longtemps assistant avant de passer le pas.
Mais un assistant, c’est quoi ?
A cette question il rit et réfléchit :
« Assistant, d’abord, c’est un vrai métier et ce n’est pas seulement dire « silence » ou « coupez » ou encore aller chercher un café ou un sandwich au réalisateur ou au comédien. C’est être là où on lui demande d’être c’est participer à la préparation du film, du tournage, s’occuper de la figuration, vérifier si les costumes sont prêts, s’il ne manque pas un accessoire, c’est faire des repérages pour trouver les lieux de tournage adéquats. C’est même, quelquefois, tourner une scène de complément, toujours sous la direction du metteur en scène. C’est un travail passionnant et minutieux. Bien évidemment plus ou moins contraignant selon le film, avec beaucoup plus de travail pour une scène historique ou de guerre que si l’on tourne « huis clos » !
Avez-vous eu à votre tour des assistant qui ont fait leur chemin ?
Oui : Chouraki, Becker, de Challonge, Costa Gavras… Tout comme moi, ils se sont formés sur le tas.
Vous avez mis beaucoup de temps à passer le pas, à devenir vous-même réalisateur ?
Oui car j’étais bien dans cette situation et je me disais qu’il valait mieux être second à Rome que premier dans son village !
Alors, qu’est-ce qui a déclenché l’envie ?
Lino Ventura. En tant qu’assistant réalisateur, j’avais tourné deux films avec lui, « 100.000 dollars au soleil » et « L’aventure c’est l’aventure » et l’on s’était très bien entendu. Il disait de moi que j’étais « un bon » ! Nous étions donc un jour dans le bureau de Lelouch, avec Claude, on discutait, on rigolait et tout à coup, sérieusement, il me dit : « Tiens, lis ce bouquin, c’est mon prochain film, tu sera le metteur en scène ». Je suis un peu interloqué et, prudent, je lui dis que je vais d’abord lire le livre… que je trouve nul !
« Tu feras ce film – insiste-t-il – tu le réécris avec Jean-Loup Dabadie ».
C’est ainsi qu’en 72, nous avons tourné « Le silencieux » avec l’équipe que Lelouch a bien voulu me prêter !
Après quoi, nous avons fait « La gifle », « L’homme en colère », « La septième cible » et nous en préparions un cinquième lorsqu’il a disparu. Je suis le seul à avoir fait quatre films avec Lino !
Vous vous êtes partagé en polar-espionnage et comédie !
Oui, c’est d’abord un peu le hasard mais aussi le plaisir de diversifier les styles !
Mais faire une comédie est bien plus difficile et plus fatigant, même si certains considèrent que la comédie est un genre mineur ou mièvre. Il faut des situations parfaites, un dialogue ciselé, il y a un rythme plus soutenu, beaucoup plus de plans car beaucoup plus de dialogues alors qu’un polar peut avoir une scène de plusieurs minutes sans dialogue… Moi j’ai toujours milité pour la comédie car dans le cinéma français, on a fait et on peut faire des choses intelligentes tout en étant drôles.
La preuve, ces deux « Boum » qui ont fait le tour du monde !
Belle aventure, non ?
Et comment ! Avec Danièle Thompson, on a magnifiquement travaillé et ce qui est formidable c’est qu’elle a su écrire et décrire des situations et des dialogues universels. Nous avons fait le tour du monde avec ce film et, que ce soit en France, en Italie, au Japon, en Russie, on a vu rire ou s’émouvoir tous ces publics différents aux mêmes scènes. Ca, c’est fantastique !
Vous pressentiez ce succès ?
On ne peut pas pressentir un succès sinon tous les films feraient un succès ! Il n’y a pas de recette mais il faut avoir la passion, l’envie, l’énergie, être exigeant et travailler beaucoup. C’est ce que je fais et aussi, j’ai une famille autour de moi, que j’ai composée, en qui j’ai toute confiance et ça, c’est très important.
Après… c’est le public qui décide.
Adjani, Marceau vous doivent leur carrière, comment ça s’est passé avec elles !
Très bien, surtout avec Adjani car, lorsqu’on a tourné « La gifle », elle était déjà à la Comédie Française. C’était déjà une comédienne hors pair et tout s’est bien passé.
Avec Sophie aussi, qui arrivait dans le cinéma. C’est vrai que le succès des deux « Boum » lui a un peu fait perdre la tête. Je me souviens que sur « L’étudiante », que je devais faire avec Adjani mais qui était prise avec « Camille Claudel », j’ai donc proposé le rôle à Sophie qui a, un moment, pris ombrage parce que, soit-disant, je m’occupais plus de Vincent Lindon que d’elle… Remarquez, Lindon a fait de même le lendemain !
Et de voir son film « Lol », qu’est-ce que ça vous a fait ?
Ah… (silence)… Vous touchez droit au cœur !
Nous étions en train de préparer, avec Danièle Thompson, « La Boum 3 » avec l’idée de retrouver tous les personnages mais avec Sophie devenue maman et ayant quelques problèmes avec sa fille. J’étais président du Festival de cinéma de Monte-Carlo et je prends « Lol » en plein visage. C’était le film qu’on était en train d’écrire et, que Sophie Marceau ne nous en ait pas parlé, nous a fait beaucoup de peine.
Mais, fair-play, je lui ai décerné le prix du meilleur film et le prix d’interprétation car, on ne peut le nier, le film est bien fait et elle magnifique…
Et c’est ainsi qu’il n’y aura pas de « Boum 3 » !!! »
Durant trois jours, Cannes a rendu hommage à Claude Pinoteau et un ami est venu le rejoindre : Georges Lautner… Les papys flingueurs se portent bien !
« Dire – nous avoue Lautner – que nous avons toujours été opposés lorsqu’on tournait et que, l’âge aidant, nous sommes devenus de « vieux » amis ! »
Bel hommage de ce grand réalisateur à son camarade !
Jacques Brachet
Photos Christian Servandier